Assemblée plénière des évêques à Lourdes, 2 au 8 novembre 2021

A Lourdes, les évêques de France à genoux

Samedi 6 Novembre. Depuis plusieurs jours, dans un climat grave, les 100 évêques de France réfléchissent à la question douloureuse des abus sexuels et de la pédophilie, à la suite du rapport de la Commission Sauvé. Ils reconnaissent la « responsabilité institutionnelle » dans les violences sexuelles commises par des prêtres ou des religieux. Après le dévoilement d’une bouleversante photo d’un enfant avec une larme, les évêques traversent en silence le Gave et arrivent sur l’esplanade de la basilique du Rosaire. Caméras et photographes  enregistrent et diffusent l’évènement. S’élève alors la voix de Mgr Moulins-Beaufort dans cette prière : «O Dieu, pardonne-nous de n’avoir pas compris que le pouvoir que tu nous donnes demande une exemplarité sans faille. Pardonne-nous d’avoir pris ta miséricorde pour une tolérance devant le mal. » Plusieurs victimes sont présentes, elles qui sont devenues des témoins et ont permis de prendre conscience de l’ampleur du drame.

Ce moment attendu par beaucoup a ainsi eu lieu. Il montre ainsi la détermination de l’Eglise de France en réponse au rapport de la CIASE, y compris dans sa dimension financière. Mais il a fallu du temps pour en arriver là. D’abord, depuis cinq ans, la découverte. Puis la réflexion.  Et, en cette année, le temps du mûrissement, puis de la progressive communion réalisée par l’Esprit-Saint entre les évêques. Que d’échanges depuis le 2 novembre, de rencontres, de supplication dans la prière chaque jour dans l’auditorium, dans la grotte de Massabielle et dans la basilique, lieu de nos Eucharisties. Comme l’a dit justement Mgr Macaire : « Nous ne sommes pas au pied du mur, nous sommes au pied de la croix ». Et le symbole était là : avec cette croix rouge devant laquelle nous nous sommes mis à genoux.

Désormais évêque-émérite, mais présent pleinement à cette assemblée, je puis témoigner de l’intensité de cette rencontre.  Depuis 2003, j’ai participé à des dizaines d’assemblées d’évêques à Lourdes. C’est toujours un beau moment de retrouvailles avec les dossiers abordés, les échanges fraternels dans le climat spirituel de ce lieu unique de Lourdes. Tous ceux venus pour cette semaine sont repartis différents, marqués par l’expérience vécue. Oui, « nous avons vécu une heure de vérité comme jamais entre nous et avec des laïcs », a reconnu l’archevêque de Reims. En ajoutant : « Notre plan d’action n’est pas clérical, mais synodal, avec les prêtres, mais aussi avec les laïcs ». Et, en concluant, Mgr de Moulins-Beaufort avertit : « Les laïcs ne toléreront pas que nous nous endormions sur le chemin des réformes. » (interview dans le Figaro du 9 novembre).

 

De fait, ce fut une assemblée singulière aussi par le sujet principal, mais aussi par la participation de centaines de laïcs venus de tous les diocèses. Des pauvres, ainsi que des laïcs engagés dans la réflexion sur l’écologie intégrale. « Clameur des pauvres et Clameur de la Terre », à partir de l’encyclique Laudato si.

Cette assemblée  a permis ainsi de nombreuses rencontres, notamment lors des repas. Moments fraternels montrant que nous sommes vraiment un peuple de Dieu animé par l’Esprit, recherchant tous ensemble l la volonté de Dieu pour notre Eglise en ces temps difficiles. 

Jamais, on a autant parlé  de la rencontre annuelle des évêques à Lourdes ! La couverture médiatique (télévisions, radios, presse) était impressionnante. Cela révélait ainsi le souci de vérité dans l’Eglise et son désir de réparer ce qui a été souillé.

 

+ Jean-Yves RIOCREUX

Le 9 Novembre 2021

 

À Lourdes, le temps mémoriel et pénitentiel des évêques au son du glas

Après avoir reconnu la responsabilité institutionnelle de l’Église dans les abus sexuels commis en son sein, les évêques de France ainsi qu’une centaine de prêtres, laïcs et religieux ont vécu, samedi 6 novembre, un temps mémoriel et pénitentiel à Lourdes. Un temps grave, lourd et essentiel.

La célébration avait été construite par la Conférence des évêques de France (CEF) et des personnes victimes, comme un temps de pénitence et une étape sur le chemin encore long de la justice. Et c’est dans le vent glacé de novembre, à peine réchauffé par quelques rayons de soleil, que les évêques de France, entourés de quelques laïcs et de personnes victimes, ont posé plusieurs gestes symboliques au coeur du sanctuaire de Lourdes, où ils se réunissent pour leur assemblée générale du 2 au 8 novembre.

Le premier de ces gestes a été le dévoilement d’une photo, celle de la sculpture du visage d’un enfant baigné de larmes, sur un des murs du bâtiment où se trouve l’hémicycle des évêques, tandis qu’une personne victime lisait un texte.

« Imbroglio : dans les yeux de l’enfant, se mêlent la souffrance de la violence subie, le déni de sa parole, et une grande solitude. Plus tard, devenu adulte, à l’imbroglio de son enfance se rajoutera une colère d’avoir été mis en danger et de ne pas avoir été secouru. Il comprendra que c’est toute la culture d’un système qui a voulu se protéger au lieu de le protéger. Et son imbroglio ne cesse de se creuser autour de cette interrogation : Pourquoi ne peut-on pas lui rendre justice ? C’est tellement vital pour lui, pour qu’enfin il puisse avoir la paix et que cesse de couler sa larme d’enfance. »

La reconnaissance d’une responsabilité institutionnelle

Puis c’est la voix sculptée par l’émotion et la gravité qu’Éric de Moulins-Beaufort a pris à son tour la parole, en écho à ce témoignage et à cette image : « Petit enfant qui pleure… Petit garçon qui t’en étais allé servir la messe, plein de fierté, petite fille qui allais te confesser le cœur plein d’espérance du pardon, jeune garçon, jeune fille, allant tout enthousiaste à l’aumônerie ou au camp scout, qui donc a osé souiller votre corps de ses grosses mains ? a-t-il lancé. Qui a susurré à votre oreille des mots que vous ignoriez ? Qui vous a imposé cette odeur qui vous imprègne ? Qui a fait de vous sa chose, tout en prétendant être votre meilleur ami ? Qui vous a entraîné dans son secret honteux ? ».

 

Et de poursuivre : « Il est trop tard pour que nous puissions essuyer vos larmes. Il ne l’est pas de nous souvenir de vous. Votre image placée sous nos yeux, nous voudrions qu’elle imprègne nos âmes. » Une référence directe à l’omerta et aux dysfonctionnements subis par tant de victimes, et qui avait d’autant plus de poids que l’Église catholique avait reconnu la veille sa responsabilité institutionnelle, par vote des évêques en assemblée.

 

« Tout le bien du monde ne rachète pas les pleurs d’un enfant »

Si les mots du président de la Conférence des évêques de France et archevêque de Reims ont touché, c’est aussi car il a livré un témoignage personnel : « Désormais, je ne peux entrer dans une église, pour y célébrer le mystère de la vie et de l’amour plus forts que la mort, sans porter le stigmate de votre visage qui pleure, si pauvre, si touchant, si seul, si désemparé, et si digne surtout. Tout le bien du monde ne rachète pas les pleurs d’un enfant. »

Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France a poursuivi sur la nécessité de se souvenir afin de poser des actes de justice : « La parole interdite au dehors comme au-dedans de cet enfant bouleversant, m’assigne, me convoque, m’oblige à être enfin dé-préoccupée de moi-même, de nous-mêmes, de nos Maisons, nos richesses en tout genre, nos affirmations, afin que oute notre énergie soit uniquement du côté de son trop de solitude qui implore notre vérité, notre présence pour de vrai, notre réponse. Pour lui rendre enfin justice », a-t-elle ainsi appelé.

Puis, lentement et silencieusement, le groupe a traversé le pont du Gave pour se rendre sur le parvis de la Basilique du Rosaire, comme en pèlerinage entre la rive du souvenir et celle de la pénitence. Première étape d’un long chemin de justice et de pardon. Tandis que le glas déchirait le silence, une partie de l’épiscopat s’est agenouillée, suivie par un certain nombre de personnes parmi la foule.

 

« Tu nous as appelé à enseigner, apprends-nous à écouter »

Et c’est encore à genoux, sur les marches de la basilique et au pied de la croix, qu’Eric de Moulins Beaufort a demandé pardon à Dieu : « Pardonne-nous de n’avoir pas compris combien le pouvoir que tu donnes exige de nous une clarté sans faille. Pardonne-nous d’avoir pris ta miséricorde pour une tolérance devant le mal. » Et prié : « Tu nous as appelé à enseigner, apprends-nous à écouter. Tu nous as appelé à sanctifier, dépouille-nous de toute appropriation, que ta grâce nous maintienne en perpétuelle conversion. Tu nous as appelé à gouverner, purifie-nous de tout goût du pouvoir, libère-nous de toute peur, à commencer par celle de perdre. »

 

À son tour, c’est elle aussi à genoux devant la croix, Véronique Margron s’est adressée à Dieu : « Nous ne pouvons descendre dans les enfers où chaque vie d’enfant, d’adulte rendu vulnérable, a été précipitée. Mais demander la force autant que la grâce de nous tenir à la porte, au bord du tombeau et là te supplier toi Dieu très bas, qui seul peut descendre dans ces ténèbres et en fracasser la porte. Toi qui seul peux nous délivrer, nous aussi, du mal que nous avons commis contre la vie, l’intégrité, la dignité, la confiance, la foi de chaque existence, meurtrie, une par une, l’une après l’autre, visage défiguré après visage défiguré. »

« Nous devons nous mettre en marche tous ensemble »

Parmi les laïcs invités à participer au travaux de l’assemblée plénière, bon nombre étaient venus s’associer à ce moment, même si cela n’allait pas forcément de soi. « Je ne voulais pas venir, témoigne l’une d’eux, car je ne voyais pas en quoi cela touchait à ma responsabilité. Et puis ce matin, en sortant dans la rue, je me suis demandé où aller : dans un café ? J’ai senti que je devais venir. J’étais à côté d’un ami évêque et j’ai vécu cela comme un temps de prière, comme on peut le vivre dans la prière des frères… J’ai prié la main sur son épaule pour l’aider à vivre sa responsabilité. »

Une autre encore avait quant à elle fait le choix de ne pas venir : « J’étais gênée car je comprends que le geste mémoriel et pénitentiel participe au processus de prise de conscience… mais il s’agit de leur responsabilité institutionnelle, en tant qu’évêques, et il faut encore poser tant de décisions et d’actes. Pour moi, ce qui vient de se passer n’aura de sens qu’à ce moment-là. »

 

« Nous devons nous mettre en marche tous ensemble, confie Brigitte Navail, victime d’abus sexuels dans l’Eglise, à l’issue de la célébration. Partout, nous allons devoir travailler ensemble, parce que ça continue, il y a encore des agressions. La synodalité prend tout son sens, il faut dépasser nos divisions et nos clivages. »

 

Par Marie-Lucile Kubacki (LA Vie)