Justice et paix : une rencontre pleine d’enseignement !

« Qui veut accomplir une œuvre de paix et n’accomplit pas une œuvre de justice et de liberté doit craindre l’illusion de mettre dans ses sillons des braises ardentes à la place de graines. » Cette pensée de Jean-Marie Adé Adiaffi a souvent été reprise par Dom Helder Camara durant ses nombreuses conférences pour ancrer le mouvement Justice et Paix dans toutes les communautés chrétiennes à travers le monde, et plus récemment par Mgr Willy Romélus dans un entretien télévisé. Dans notre diocèse de Guadeloupe depuis plus de vingt-cinq ans le mouvement Justice & Paix est bien présent et creuse au fur et à mesure, à la lumière des textes du Concile Vatican II, le sillon de la Doctrine Sociale de l’Eglise. Merci à tous ces militants de la première heure qui aujourd’hui encore nous maintiennent debout et nous mettent en mouvement.

Régulièrement donc des rencontres sont programmées qui mobilisent les délégués de tous les mouvements et de toutes les paroisses pour réfléchir sur une question d’actualité importante. On sait combien la question de la « fin de vie » a résonné dans nos communautés à la suite de la rencontre Justice et Paix de décembre dernier.

Ce dimanche 25 février donc, de 8 h à 13 h, une quarantaine de chrétiens venus de tout le diocèse s’est retrouvée dans la salle de la paroisse de Prise-d’Eau autour de la question : « quel changement pour la Guadeloupe ? Statutaire ou institutionnel ? » (la loi n° 46-451 du 19 mars 1946 a érigé les ‘colonies’ de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane en départements français d’outre-mer. Depuis, d’année en année, on parle, on observe, on propose, on réfléchit… mais qu’en est-il exactement ?)

Pour en débattre, Raphaël Lapin, avocat, et Franck Garain, sociologue, ont été convoqués sous la houlette de Robert Valérius, avocat, et président de la commission des Droits de l’Homme en Guadeloupe.

« Quelle rencontre intéressante et dense, s’est exclamée une mère de famille des Abymes à la fin du temps d’enseignement ! En fait c’est un sujet très politique qui nous concerne tous ! La vie sociale est notre tronc commun il ne faut pas oublier ça, à l’heure où tout va vite, où tout semble surfait, où surffer sur les réseaux sociaux mobilise toutes nos énergies ». Et le jeune Ludovic, de Capesterre, d’ajouter : « On croit que tout passe, tout file et nous glisse dessus. Mais non. L’histoire nous colle à la peau, nos habitudes, nos coutumes, nos cultures nous rappellent que nous avons un enracinement authentique et que c’est de là que tout part. Et si l’on veut retrouver du sens dans nos choix et nos démarches aujourd’hui, il faut s’y référer. J’ai tellement aimé les interventions argumentées des trois intervenants d’aujourd’hui. J’ai beaucoup appris. »

Franck Garain a rappelé les fondamentaux en quelque sorte. « Quel changement dans une société marquée par la survie… avons-nous envie de voir plus loin … ce n’est pas parole en l’air, c’est au plus profond de nous… Gwadloup tranblé… Gwadloup malad… ce cri de nos artistes d’aujourd’hui c’est le nôtre… devons-nous attendre des jours meilleurs ? devons-nous ne compter que sur les autres et attendre ? Est-ce que nous sommes concernés… par ces produits qui nous envahissent alors qu’on arrive difficilement à écouler nos produits à nous ici… et bien d’autres sujets humains qui nous touchent de plein fouet… nous le voyons bien tous les jours… 70% des décisions stratégiques prises à Jarry sont dictées à l’extérieur. 95% de ce que nous mangeons vient du dehors. 2253 Guadeloupéens ont quitté la Guadeloupe en 2022. La vie est de plus en plus chère. » Et M. Garain, en pédagogue averti, truffe son exposé d’arguments historiques, juridiques, économiques, politiques imparables. « Oui nous sommes tous concernés et il y a quelque chose à faire. La vraie question : il faut changer ! Le voulons-nous ! » Les grands discours ne feraient plus recette aujourd’hui… il faut porter le message de porte en porte, de petite communauté en petite communauté. « Les réseaux sociaux ne sont trop souvent qu’une grande illusion », me glisse à l’oreille ma voisine.  Nous devons préserver nos humanités, nos contributions à construire le monde, nous émanciper. Pour nous chrétiens, avoir une vision élargie et ancrée. Robert Valérius de conclure cet exposé plein d’humanité et de vérité par ce propos percutant : « la pensée sociale de l’Eglise doit nous aider à repenser et partager ces questions vitales pour notre avenir, pour nos enfants, pour nos jeunes ! »

Le jeune avocat Raphaël Lapin a situé son exposé sur le plan juridique. Car nous sommes tous concernés. Et de rappeler cette parole de Montesquieu : « la loi n’est que l’expression d’une société, elle répond à l’identité d’un peuple ». Mais Durkheim, sociologue de la société moderne, de rappeler à bon escient : « il n’y a pas une loi, mais des lois ! ». De quels outils disposons-nous pour l’heure ? Des mairies, du conseil départemental, du conseil général…quelle est la place de l’ordonnancement juridique ?… deux grands problèmes : la loi est souvent peu adaptée à notre réalité propre ; d’autres fois les textes existent mais ils ne sont pas appliqués. Nous devons ‘pouvoir statuer’ la loi partout : une loi statuée dans l’hexagone doit pouvoir être ordonnancée chez nous, légiférée chez nous… comment nourrir son pays ? comment ordonnancer son pays ? Il nous faut rapatrier des compétences : la première c’est l’éducation, maîtriser les compétences scolaires ; deuxième compétence : fiscale… et il y en a d’autres à définir ensemble. Robert Valérius, en formateur averti, d’intervenir : « parce que nous sommes chrétiens, nous croyons que nous sommes capables de rebâtir » ; et de « répondre aux besoins de la population » ajoute père Serge Plaucoste dans l’assemblée. Raphaël Lapin de reprendre : «il y a un chemin : se connaître, connaître cette verticalité, son histoire, offrir les moyens économiques… Est-ce que nous voulons levers les verrous des forces obscures qui nous bloquent ? » Franck Garain d’appuyer : « Ne devrions-nous pas nous libérer d’une peur paralysante qui nous empêche d’avancer ». Et Robert Valérius, introduisant le débat intéressant et nourri qui a suivi, a tonné : « les chrétiens dans cette société doivent prendre leurs responsabilités ; et refuser de jouer sur la peur quand on parle des transferts émanant de l’Etat ! »

Le débat a été très riche prouvant combien nous chrétiens de Guadeloupe voulons prendre en mains notre destin, refuser toute aliénation quelle qu’elle soit, tout amalgame quel qu’il soit… ainsi qu’une jeune lycéenne l’a réclamé courageusement.

Père Albert Blanchard, avant la messe concluant cette belle rencontre, a appuyé sur le travail qu’il nous reste à faire dans nos communautés, nos quartiers pour que ce devoir de transmission ne reste pas lettre morte. Nous devons choisir entre Gandhi : « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde » et Frantz Fanon : « ce type de changement ne peut venir que par la violence ». Annou alé !

 

Jean-Marie GAUTHIER