Justice et Paix : au carrefour de nos chemins !

« Promouvoir l’avènement de sociétés pacifiques et ouvertes à tous aux fins du développement durable, assurer l’accès de tous à la justice et mettre en place, à tous les niveaux, des institutions efficaces, responsables, respectueuses et ouvertes à tous. » Voilà un idéal collectif que Justice et Paix promeut depuis toujours et qui mobilise beaucoup d’énergie afin de rendre nos communautés en éveil, et nos sociétés meilleures. Tous les trimestres Justice et Paix nous réunit en Guadeloupe pour approfondir nos réflexions, et nous obliger à ce plus indispensable afin de sortir de nos peurs et de nos torpeurs. Ce dimanche 3 décembre, de 8 h 30 à 13 h, à Ste Thérèse de Prise d’Eau, la question cruciale et qui concerne toutes les familles est montée d’un cran : « et si on parlait de la fin de vie ! »

« La question me touche en plein cœur » disait Ludovic C., jeune de Capesterre BE, qui a perdu sa mère brutalement d’une attaque cardiaque il y a un an et demi, à l’entrée de la réunion… et au retour il me confiait combien cette réunion lui « avait fait du bien, comme une respiration indispensable pour y voir plus clair et pour savoir où nous allons quand même ! Même si j’ai tatoué le nom de ma maman sur ma jambe et elle m’aide ainsi à marcher.»

En préparant la réunion quelques jours avant, comme cela était suggéré, par watsapp il avait appelé Frère Francklin Armand en Haïti, qui guide notre groupe Ti Fanmi Lenkanasyon dont Ludovic continue de faire partie à la suite de sa maman qui y était fidèle. Voilà sa réponse. « Parler de la fin de vie est essentiel ! Si on ne veut pas que la vie sociale tourne mal… il faut en parler, car sans parole, c’est le droit de tuer qui règne. Et bizarrement le droit de se faire tuer ! On le voit bien chez nous en Haïti où les morts se comptent par centaines tous les jours pour des pères et des mères de famille, des jeunes, qui se font braquer et tuer chez eux ou sur la route et qui ne sont pas préparés à la mort ; s’ils/elles l’étaient, ils feraient attention et se prémuniraient contre ce danger qui les menacent… De même pour les membres des gangs de plus en plus nombreux qui sèment la terreur pour lesquels la vie n’ayant aucun prix ils peuvent donner la mort en toute impunité ! On ne peut pas parler de la fin de vie sans parler du prix de la vie… de la valeur essentielle de la vie qui est un don de Dieu et qu’il faut respecter et vénérer d’un bout à l’autre de la chaîne ! et où que ce soit à travers le monde ! Dès tout petits, nos enfants, nos jeunes, nos familles doivent comprendre la valeur inestimable de la vie ! Cette valeur seule peut entraîner l’espérance individuelle qui entraîne l’espérance familiale qui entraîne l’espérance sociale qui entraîne l’espérance communautaire ! Je salue ici les corps sociaux que représentent les soignants, tous les soignants qui se battent partout pour secourir et soulager les souffrances des malades, des blessés, des mutilés… ils nous montrent l’exemple car la vie est plus forte que la mort ! Voilà ce que je peux dire comme ça tout de suite ! Mais je suis sûr qu’avec le père Hamot que je salue en passant, vous saurez trouver des pistes qui vous permettront d’aller plus loin ! et nous permettront nous aussi d’aller plus loin, car la Caraïbe respire partout le même air ! »

C’est dire la joie et l’empressement de Ludovic de venir à la réunion aujourd’hui. Et notre espérance à tous, les quarante personnes qui se sont déplacées pour comprendre et creuser la question. Car qui que nous soyons, on est tous concernés. Et les quatre intervenants qui nous ont passionnés tout au long de la rencontre, ont fait montre d’une hauteur de vue susceptible de faire bouger nos curseurs intérieurs à tous ! Docteur Lise Léres, médecin généraliste ; Raphaël Speronel psychologue et consultant ; Père Jean Hamot responsable diocésain de la pastorale de la santé et de l’accompagnement ; et Robert Valérius, avocat, et membre éminant de la ligue des Droits de l’Homme en Guadeloupe. Ils ont tous donné de leur temps pour que nous y voyons plus clair. Merci à eux !

D’entrée de jeu, Dr Lerès précise bien que la période qui est concernée là est « celle qui précède la mort immédiate… quand on parle de fin de vie c’est la mort imminente ! » On sait que la loi va bouger bientôt, ce n’est donc pas neutre de nous interroger et de nous poser enfin les vraies questions !

Père Hamot dans son intervention relève combien la question est délicate d’aider quelqu’un à vivre et non à mourir. « Quelques soient nos convictions, la fin de vie nous la vivrons tous, mais il faut éviter les écueils, les passions et les pressions ». Son propos percutant méritera d’être répercuté et repris en petits groupes, car pour l’Eglise le « tu ne tueras pas » de l’Exode est incontournable. Et dans le n°1292 du catéchisme de l’Eglise Catholique il est bien précisé que le refus de l’acharnement thérapeutique est libre. Les Soins Palliatifs sont la forme de la charité la plus désintéressée. En tant que chrétiens nous préférons l’aide active à vivre plutôt que l’aide active à mourir.

Dr Lerès dans son propos a été claire : « l’accompagnement en fin de vie n’a qu’un seul but : aider à vivre… aider, prévenir, soulager les souffrances physiques, psychiques, spirituelles…D’où les Directives Anticipées dont il va bien falloir parler afin de devancer, et d’aider nos proches et le corps médical tout entier. »

Raphaël Speronel, dans un propos très affiné a repris les fondements de l’Histoire, de nos histoires, de nos cultures…etc… car la question est au cœur de l’identité humaine depuis les origines : ou il s’agit d’une fin dernière et irrémédiable et on en parle plus ; ou il s’agit d’un passage. Et les postures pour apprivoiser la mort ont entraîné des rituels, des schémas culturels et humains qui font partie de nos sociétés. Aujourd’hui on considère que dans les schémas collectifs quels qu’ils soient il y a 90% de croyance et 10 % de connaissance. C’est dire que le champ est vaste. Et de repérer des angles incontournables et très éclairants ; par exemple dans l’esclavage la mort était omniprésente et respectée ! Peut-on parler aussi du rapport dynamique de la ‘pensée des morts’ : on est mort le jour où on nous oublie ! Notre quête dans cette question « et si on parlait de la fin de vie » est celle de la Lumière. En fonction des mutations naturelles, culturelles et spirituelles. Mais la quête de la lumière elle est absolue ! Et en croyant en Dieu, nous nous en approchons tellement !

Maître Valérius a recadré avec une grande justesse de vue le côté législatif. La loi interdit l’euthanasie active avec ou sans l’accord de la personne. Elle interdit jusqu’à aujourd’hui le suicide assisté : donner à un malade quelque chose qui mette fin à ses jours. La loi par contre permet la sédation profonde et continue jusqu’au décès. L’arrêt de traitements, ou suspension de traitements inutiles ou disproportionnés. Et Dr Léres de préciser que la collégialité des médecins est toujours requise… et le corps médical est très respectueux de ce point.

Chacun est maître de sa vie. Et la sédation profonde n’est pas sans interroger toute personne de façon très intense. Là est l’enjeu vital pour nos communautés, nos sociétés. Jusqu’où ira la loi qui va être votée bientôt ? Ce n’est pas quelconque ou anodin. Il faut bien se le dire. De nombreuses questions sont intervenues dans le public. Dr Jean-Marie Lomon en a fait remonter quelques-unes d’essentielles. Et plusieurs témoignages poignants ont été partagés. On sent très bien la charge lourde qui pèse sur le cœur des gens !

Les carrefours qui ont suivi ont permis des échanges amicaux et spirituels approfondis qui sont venus fort à propos. La synthèse écrite en sera remise plus tard pour être reprise.

Il est évident pour nos quatre intervenants que les chrétiens doivent se mobiliser : car les catholiques ont une vision du monde. Et leur espérance doit rendre la société meilleure, et la vie des personnes plus apaisée.

Ludovic tient à témoigner : « Un point est à prendre en compte pour moi, dans ces réunions de Justice et Paix, comme dans les TKL, comme dans nos rencontres Famille Fraternité de l’Incarnation, c’est l’amitié et la bienveillance qui existent entre tous quelque soit l’âge et la situation ! Ce bon climat permet de réfléchir, d’approfondir et de voir plus loin ! »

Le débat ne fait que commencer en vérité. Heureusement Père Albert Blanchard est arrivé à point nommé pour que nous vivions l’Eucharistie tous ensemble ! Et pour que nous rechargions nos batteries afin que nous puissions continuer la route ! Merci à tous.

Ludovic Cazako et Jean-Marie Gauthier