Le cri d’Haïti nous concerne tous !

Ti Fanmi Lenkanasyon tenait sa réunion mensuelle de prière, d’amitié, et de solidarité ce samedi 20 avril à 15 h dans la chapelle des Soeurs Carmélites à Gourbeyre ! Une rencontre à la résonnance grave tant la tension qui règne là-bas nous concerne et nous ébranle tous. Et c’est sous les directives éclairées de Mgr Philippe Guiougou, d’Ernest Pépin et de Soeur Armelle Geffrault que le tragique vécu dans ce pays frère a empreint notre chapelet de gravité.

Le conseil de Mgr Philippe, notre évêque, durant son homélie lors de la messe de clôture du mois de prière diocésain pour Haïti le 7 février, en la fête de la Divine Miséricorde, à St Michel du Raizet : “quand un membre souffre dans un corps, tous les autres membres souffrent aussi… Haïti est en grande souffrance, et nous sommes tous atteints”. Ce conseil demeurera au fronton de l’étendard de notre groupe qui chaque mois inlassablement se retrouve pour la prière et irradier cette fraternité venue tout droit du charisme de la Fraternité de l’Incarnation.

Au cours de notre prière du chapelet, à partir des méditions de saint Charles de Foucauld et des conseils éclairés de Frère Francklin Armand, comme habituellement, nous avons partagé deux lectures qui nous ont grandement ébranlés. Ernest Pépin vient en effet d’écrire un grand et magnifique plaidoyer/poème pour Haïti : “Au secours Dessalines ! Ils sont devenus fous !”… comment sortir d’un ghetto où règne la violence ? … avec des mots forts et percutants, qui sonnent tellement juste, ce grand humaniste et écrivain guadeloupéen nous saisit et ne nous lâche pas… lisons et faisons connaître autour de nous ce texte sublime afin que, par ondes successives comme des ricochets dans l’eau, il parcourt le monde et secoue l’indifférence qui se glisse partout vis à vis d’Haïti. “Heureusement le chapelet est là pour que nous ne nous brisions pas !” comme Mgr Willy Romélus, évêque émérite de Jérémie, me le disait dans un message WhatsApp hier.

Le second texte partagé a été un long courriel reçu ce matin même de Soeur Armelle Geffrault, secrétaire de Frère Francklin Armand, qui a été obligée de s’en aller sur les recommandations pressées de l’ambassade de France qui conseillait à tous les ressortissants français de quitter Haïti. Rendons-nous compte, elle œuvre au sein de la Fraternité de l’Incarnation en Haïti depuis plus de trente-cinq ans. Les quatre pages de son récit sont pathétiques, d’un bout à l’autre. Nous avons retenu entre autres : ce parcours en hélicoptère de nuit, afin d’éviter les tirs ou roquettes de gangs qui ceinturent Port-au-Prince, pour atteindre le bateau de la marine française qui avait jeté l’ancre pour eux au dessus de l’île de la Gonave. Et puis les jours saints vécus dans les conditions particulières de ce bateau transportant plus de mille personnes naviguant vers la Martinique…. Courage Soeur Armelle, nous prions pour vous tous les jours, et vous reviendrez en Haïti comme vous l’espérez tellement quand la paix et la justice, que nous espérons tant, seront revenues en Haïti Chérie !

Nous partageons ici l’introduction de notre troisième dizaine de chapelet pour demeurer en communion les uns avec les autres : Nous prions pour les Petites Sœurs et les Petits Frères de l’Incarnation en Haïti. Nous prions pour chacune et chacun d’entre eux. Pour qu’ils n’aient pas à subir les atrocités dont on parle tant aux informations. Nous prions pour que la graine semée en Guadeloupe après le passage et l’ancrage des petits frères, continue de porter humblement du fruit ; et qu’à un moment donné des petits frères ou des petites sœurs de l’incarnation reviennent durablement s’installer chez nous, quand le Bon Dieu décidera. Pour que le sanctuaire Notre-Dame de la Médaille Miraculeuse à Jérémie continue sa construction avec l’aide de tous, afin qu’un jour nous puissions nous y rendre en pèlerinage. Sanctuaire qui est un exemple de construction antisismique (certifiée par l’O.N.U.), sur lequel le peuple haïtien « est invité à prendre exemple pour lui-même, et construire désormais ses habitations selon ce modèle qu’eux-mêmes ont pu créer » (extrait du livre « espérer contre toute espérance » écrit par Mgr Willy Romélus et paru aux éditions Nestor). Nous prions aussi pour le père Daniel Romulus, de passage en Guadeloupe, pour vivre la retraite annuelle avec ses frères du Prado, et qui nous a donné quelques nouvelles hier soir lors de la rencontre programmée avec lui par l’association SEDHAF qui le soutient, depuis les Abymes. Il a bien du courage lui aussi ! »

Le Verre de l’amitié a conclu notre rencontre ! Merci aux sœurs Carmélites de nous recevoir chez elles chaque mois !

Jean-Marie Gauthier

  

Soeur Armelle Geffrault
: Frère Francklin Armand

Au secours Dessalines !!! Ils sont devenus fous !!!

 

Lorsqu’un peuple se noie, il parait urgent de lui tendre la main. Je constate tristement qu’Haïti est sous les eaux sales de l’Histoire. Jamais, elle n’avait connu une telle conjugaison de maux, à vrai dire une catastrophe quasi suicidaire sortie tout armée des mains inconscientes de ses propres enfants. Les bourreaux sont de tout ordre. Ecologique, politique, économique, social, etc. La faillite est totale. Ce qui manque le plus c’est une morale du salut public. On a du mal à comprendre qu’après tant de débâcles prédatrices, tant de régimes autoritaires, tant de coups du sort, tant de malemorts, ce pays n’ait pas encore pu édifier les armes d’un sursaut salutaire. On comprend encore moins pourquoi un pays doté de tant d’intellectuels et d’artistes renommés traverse tant de crises mortifères. C’est à croire que l’intelligence collective n’est pas suscitée et mobilisée pour surmonter les problèmes. Dans un pays émietté en classes sociales, en secteurs économiques, en classes politiques, en gangs mafieux, en élites minoritaires, en diasporas lointaines, comment faire peuple souverain sous la bannière de l’État ? La question est difficile d’autant plus que des mains étrangères tirent les ficelles d’une agonie programmée. Tout se passe comme si Haïti n’a jamais appartenu aux Haïtiens dépossédés de tout. Pas même du sens de l’État qu’il faut rebâtir en partant de zéro. En réalité, tout est à recommencer comme si l’on sortait de l’esclavage. Tout est à refaire !!!

Les ancêtres n’ont servi à rien ! Ils n’ont même pas commencé à lutter pour nous sortir du tragique. Ils nous ont libérés sans boussole. Et nous sommes là, à la merci des flots tout comme ces esclaves qui s’emparaient du navire négrier sans savoir comment tenir la barre, faute de pilote. Nous voguons au gré du vent comme des fétus de paille. Le vent de la désolation souffle fort quand il vient d’ailleurs. Nous avons connu la tempête de l’esclavage, la rage de la révolution haïtienne, le déferlement revanchard de la France, les tourments de l’occupation américaine, le souffle pestilentiel des Duvalier, les secousses du tremblement de terre, les crises migratoires, la déforestation. En un mot, toutes les conditions d’une décomposition avancée. Oublié Toussaint L’Ouverture (Louverture), oublié le Roi Christophe, oublié Dessalines, l’île n’est plus qu’un zombi sans tête qui dévore ses enfants. Qu’un ghetto où règne la violence. Qu’un ‘reste avec’ sans domicile fixe. Elle se cadavérise d’impuissance sous les yeux hypocrites des grandes puissances. Toutes responsables mais pas coupables !

Il est honteux de voir une nation se désagréger à ce point. Il est inacceptable de tolérer cette logique du pourrissement. Il est indécent d’endosser la peau de ce qu’il faut appeler un cannibalisme de système, il est moralement odieux d’assister à une telle profitation des gangs qui gangrènent toute la société.   C’est à se demander mais quand donc cessera ce martyr ? Cette lèpre corruptrice, cet assassinat planifié, cette délinquance entretenue. Décidemment, en Haïti, les dieux ont soif ! Ils boivent le sang du peuple qui n’en peut plus. De coups d’État en coups d’État, de pillages en pillages, de mauvaises gouvernances en mauvaises gouvernances, d’indifférence en mépris des droits humains, de coups du sort en maltraitance, la coupe est pleine à ras bord. L’injustice déborde depuis le temps du temps. La situation s’aggrave, pourrit et dégage une puanteur irrespirable.

Ne sentez-vous pas cette odeur nauséabonde ?

Elle monte des bas-fonds de l’histoire.

Elle infecte un pays sans rêve.

Elle suinte la mort des cimetières.

Elle rappelle la cale du bateau négrier

Les plantations morbides

Les quartiers mal famés

Le pays sans chapeau

Le cauchemar des abandonnés

Des sinistrés

Des désespérés

De ceux qui tournent fous autour des mares empoisonnées

De ceux qui mangent la misère par les deux bouts

Les enfants de madame la déveine

Les enfants de mère la mort

Les égarés d’un royaume perdu

Les loas nous avaient tendu le mauvais domino

La mauvaise pioche

La maldonne

L’enfer

Et nous voilà seuls dans les quatre chemins

De nous-mêmes

Ne sachant quelle route prendre

Haïti c’est un peuple sans toit

Qui marche dans la rue avec les pieds poudrés

Les yeux bandés

Crevés

Une femme qui grimpe le morne la folie

Haïti

C’est aussi un peuple

Qui entend passer

La rosée des songes interdits

Haïti

C’est le lent pourrissement de la feuille

Le jeu d’esquive d’un peuple empêché

De croître

De croire en son destin

D’élever haut son étendard

De se dépasser

De se surpasser

De se transcender

Qui osera mettre fin

A ce scandale

A ce carnaval des douleurs

Il faut un homme de soif bonne

Ou une femme de grand mérite

Non pas un sauveur

Mais un redresseur

 

A cette condition, je plaide pour une Haïti nouvelle, une Haïti unie, une Haïti respectueuse de tous les citoyens Haïtiens. L’Haïti dont j’ose rêver.

Haïtiens, faîtes ce rêve avec moi ! Aucun chemin n’est trop difficile lorsqu’on a le courage !

 

Ernest Pépin

Le 11 mars 2024

Guadeloupe