Synode sur l’Amazonie

Nous pouvons dire que Le Synode pour l’Amazonie a quatre dimensions : la dimension pastorale, la dimension culturelle, la dimension sociale et la dimension écologique. La première, la dimension pastorale, est l’essentielle, celle qui englobe tout. Nous l’abordons avec un coeur chrétien et nous regardons la réalité de l’Amazonie avec les yeux du disciple pour la comprendre et l’interpréter avec les yeux du disciple

Soeurs et frères, bonjour!

Bienvenue à tous et merci pour votre travail de préparation : tout le monde a beaucoup travaillé, depuis Puerto Maldonado jusqu’à aujourd’hui. Merci beaucoup.

Le Synode… je vais parler en espagnol, c’est mieux…

Nous pouvons dire que Le Synode pour l’Amazonie a quatre dimensions : la dimension pastorale, la dimension culturelle, la dimension sociale et la dimension écologique. La première, la dimension pastorale, est l’essentielle, celle qui englobe tout. Nous l’abordons avec un coeur chrétien et nous regardons la réalité de l’Amazonie avec les yeux du disciple pour la comprendre et l’interpréter avec les yeux du disciple, parce qu’il n’existe pas d’herméneutiques neutres, d’herméneutiques aseptisées, elles sont toujours conditionnées par une option préalable, notre option préalable est celle des disciples. Et je connais aussi celle des missionnaires, parce que l’amour que l’Esprit Saint a mis en nous nous pousse à l’annonce de Jésus-Christ ; une annonce – nous le savons tous – qui ne doit pas être confondue avec le prosélytisme. Nous cherchons à aborder la réalité de l’Amazonie avec ce coeur pastoral, avec les yeux du disciple et du missionnaire, parce que ce qui nous importe, c’est l’annonce du Seigneur.

Et en outre, nous nous approchons des peuples amazoniens sur la pointe des pieds, en respectant leur histoire, leurs cultures, leur style du ‘bon vivre’, dans le sens étymologique du terme, et non dans le sens social que nous leur attribuons souvent, parce que les peuples ont leur identité propre, tous les peuples ont leur sagesse, une conscience de soi, les peuples ont une manière de sentir, une manière de voir la réalité, une histoire, une herméneutique et ils tendent à être les protagonistes de leur histoire avec tout cela, avec ces qualités. Et nous, nous nous approchons, étrangers aux colonisations idéologiques qui détruisent ou réduisent les spécificités des peuples. Les colonisations idéologiques sont très répandues aujourd’hui. Et nous nous approchons sans l’angoisse de l’entrepreneur qui leur propose des programmes préconçus, pour « discipliner » les peuples amazoniens, discipliner leur histoire, leur culture ; c’est cette anxiété de « domestiquer » les peuples autochtones. Quand l’Église a oublié cela, c’est-à-dire comment elle doit s’approcher d’un peuple, elle ne s’est pas inculturée ; elle a même fini par mépriser certains peuples. Et combien d’échecs regrettons-nous aujourd’hui ! Pensons à De Nobile en Inde, à Ricci en Chine et à tant d’autres. Le centralisme « homogénéisant » et « homogénéisateur » n’a pas laissé émerger l’authenticité de la culture des peuples.

Les idéologies sont une arme dangereuse, nous avons toujours tendance à nous accrocher à une idéologie pour interpréter un peuple. Les idéologies sont réductrices et nous poussent à exagérer dans notre prétention à comprendre intellectuellement, mais sans accepter, comprendre sans admirer, comprendre sans assimiler. Alors, on saisit la réalité en catégories, et les plus communes sont les catégories des « -ismes ». Alors, quand nous devons nous approcher de la réalité d’un peuple autochtone, nous parlons d’ « indigénismes », et quand nous voulons leur donner une issue pour une vie meilleure, nous ne le leur demandons pas, nous parlons de « développementisme ». Ces « -ismes » reformulent la vie à partir du laboratoire éclairé et des lumières.

Ce sont des slogans qui s’enracinent et programment le rapprochement à l’égard des peuples autochtones. Dans notre pays, un slogan: “civilisation et barbaries” a servi à diviser, à annihiler et a atteint son sommet vers la fin des années quatre-vingt, à annihiler la majeure partie des peuples autochtones parce que c’était des “barbaries” et la “civilisation” venait d’ailleurs. C’est le mépris des peuples – et je prends l’expérience de ma terre, ce “civilisation et barbaries” qui a servi à annihiler des peuples, continue encore aujourd’hui dans ma patrie, avec des paroles offensives, alors on parle de civilisation de second niveau, ceux qui viennent de la barbarie; et aujourd’hui, ce sont les “bolitas, los Paraguayanos, los paraguas, los cabecitas negras”, toujours cette façon de nous éloigner de la réalité d’un peuple en le qualifiant et en le tenant à distance. C’est l’expérience de mon pays.

Et puis le mépris. Hier, cela m’a beaucoup déplu d’entendre ici, un commentaire moqueur sur cet homme pieux qui apportait les offrandes avec des plumes sur la tête. Dites-moi : quelle différence y a-t-il entre porter des plumes sur la tête et le « tricorne » que portent certains officiels de nos dicastères ? Alors, nous courons le risque de proposer des mesures simplement pragmatiques, quand au contraire, il nous est demandé de contempler les peuples, la capacité d’admirer, pour penser d’une manière paradigmatique. Si quelqu’un vient avec des intentions pragmatiques, qu’il récite le « moi pécheur », qu’il se convertisse et ouvre son coeur à une perspective paradigmatique qui naît de la réalité des peuples.

Nous ne sommes pas venus ici pour inventer des programmes de développement social ou de conservation de cultures, de type musée, ou d’actions pastorales avec le même style non contemplatif que celui avec lequel sont menées les actions dans un sens opposé : déforestation, uniformisation, exploitation. On fait aussi des programmes qui ne respectent pas la poésie – permettez-moi de le dire –, la réalité des peuples qui est souveraine. Il faut aussi que nous nous gardions de la mondanité dans la manière d’exiger des points de vue, des changements dans l’organisation. La mondanité s’infiltre toujours et nous fait nous éloigner de la poésie des peuples.

Nous sommes venus pour contempler, pour comprendre et pour servir les peuples. Et nous le faisons un parcourant un chemin synodal, nous le faisons en synode, non pas en tables-rondes, non pas dans des conférences et des discussions ultérieures : nous le faisons en synode, parce qu’un synode n’est pas un parlement, ce n’est pas un parloir, ce n’est pas démontrer qui a le plus de pouvoir sur les médias et qui a le plus de pouvoir sur le réseau, pour imposer n’importe quelle idée ou n’importe quel plan. Cela donnerait la configuration d’une Église congrégationaliste, si nous entendons chercher qui a la majorité, par le biais des sondages. Ou une Église sensationnaliste tellement lointaine, tellement distante de notre Sainte Mère l’Église catholique ou, comme aimait le dire saint Ignace : « notre Sainte Mère l’Église hiérarchique ». Un synode, c’est cheminer ensemble sous l’inspiration et la direction de l’Esprit Saint. L’Esprit Saint est l’acteur principal du synode. S’il vous plaît, ne le chassons pas de la salle.

Il y a eu des consultations, on a discuté dans les Conférences épiscopales, dans le Conseil pré-synodal, on a élaboré l’Instrumentum Laboris qui, comme vous le savez, est un texte-martyr, destiné à être détruit, parce que c’est le point de départ pour ce que l’Esprit fera en nous. Et maintenant, marchons sous la conduite de l’Esprit Saint. Maintenant, nous devons permettre à l’Esprit-Saint de s’exprimer dans cette assemblée, de s’exprimer parmi nous, de s’exprimer avec nous, à travers nous, de s’exprimer « malgré » nous, malgré nos résistances, et il est normal qu’il y en ait, parce que la vie du chrétien est ainsi.

Quel sera donc notre travail, ici, pour garantir que cette présence de l’Esprit Saint sera féconde ? Avant tout, prier. Frères et soeurs, je vous demande de prier, beaucoup. Réfléchir, dialoguer, écouter avec humilité, sachant que je ne sais pas tout. Et parler avec courage, avec parrhésie (du grec parrhesia, audace, liberté de parole, ndlr), même si cela me gêne de le faire, dire ce que je sens, discerner, et tout cela dans ce lieu, en gardant la fraternité qui doit exister dans ce lieu, pour favoriser cette attitude de réflexion, prière, discernement, d’écouter avec humilité et parler avec courage. Après quatre interventions, nous aurons quatre minutes de silence. Quelqu’un a dit : « c’est dangereux, Père, parce qu’ils vont s’endormir ». Lors de l’expérience du Synode sur les jeunes, où nous avons fait la même chose, en fait c’est le contraire qui s’est produit : ils avaient tendance à s’endormir pendant les interventions – au moins, pendant certaines – et ils se réveillaient pendant le silence.

Enfin, être au synode signifie s’encourager à entrer dans un processus. Ce n’est pas occuper une place dans la salle. Entrer dans un processus. Et les processus ecclésiaux ont une nécessité : ils doivent être protégés, soignés comme un petit enfant, accompagnés au début, soignés avec délicatesse. Ils ont besoin de la chaleur de la communauté ; ils ont besoin de la chaleur de l’Église leur mère. C’est ainsi que se développe un processus ecclésial. C’est pourquoi l’attitude de respect, de soigner le climat fraternel, l’atmosphère d’intimité sont importantes. Il s’agit de ne pas tout rapporter, tel que cela vient, à l’extérieur. Mais par rapport à ceux que nous devons informer, il ne s’agit pas d’un secret plus propre aux loges qu’à la communauté ecclésiale ; mais de délicatesse et de prudence dans la communication que nous ferons avec l’extérieur. Et cette nécessité de communiquer vers l’extérieur à toutes les personnes qui veulent savoir, à tous nos frères, journalistes, qui ont la vocation de servir pour que cela se sache, et pour les aider en cela, des services de presse, des briefings, etc. sont prévus.

Mais un processus comme celui d’un synode peut un peu se détruire si, en sortant de la salle, je dis ce que je pense, je donne mon avis. Il y aura alors cette caractéristique qui s’est présentée à certains synodes: du “synode de l’intérieur” et du “synode du dehors”. Le synode de l’intérieur qui suit un chemin de notre Mère l’Église, d’attention aux processus, et le synode du dehors qui, en raison d’une information donnée à la légère, donnée imprudemment, pousse celui qui a le devoir d’informer à des équivoques. Par conséquent, merci pour ce que vous faites, merci parce que vous priez les uns pour les autres et courage. Et s’il vous plaît, ne perdons pas le sens de l’humour. Merci.

RESUME DE MGR EMMANUEL LAFONT

Nous voici à la fin de la première semaine de ce synode.

C’est très fort par toutes ses dimensions.
 
1.     Le pape est très présent. Il est tout proche, et c’est magnifique. Il se rend disponible à chacun et nous pouvons tous le saluer et parler devant lui. Lundi dernier, nous avons eu une procession depuis saint Pierre de Rome jusqu’à la salle où nous nous réunissons, il était là avec nous, claudiquant mais se laissant approcher et toucher par tous et par chacun, heureux comme un père. Je t’envoie son homélie à la messe d’ouverture dimanche dernier. Après cette procession, il s’est adressé à nous quelques instants, et je te donne encore ce qu’il nous a dit.
 
2.     Nous avons passé trois jours à nous écouter. Tous ceux qui veulent peuvent parler pendant 4 minutes. Après quatre prises de parole, on prend quatre minutes de prière. Et ça recommence. Je te donne ce que j’ai dit.
 
3.     Parmi les quelques 100 interventions que nous avons entendues, les plus fortes viennent des religieuses engagées en Amazonie et mes Amérindiens ! Des paroles remarquables, qui ont déplacé le débat bien à côté de ce que les médias attendent. Là où les médias s’inquiètent de savoir si on va autoriser l’ordination d’hommes mariés, on reconnait que ce que les Amérindiens souhaitent d’abord, c’est le soutien de l’Eglise dans leur lutte pour leurs droits, leur terre, leur culture, leurs traditions et leurs lutte contre le réchauffement climatique et la mise à sac de l’Amazonie par les multinationales minières, agricoles et d’élevage…
 
4.     Ensuite, nous avons passé deux jours en petits groupes linguistiques. J’ai été élu rapporteur de mon groupe ; j’ai pris des notes, comme un fou, à hauteur de 33 pages de notes, que j’ai ensuite résumées en 8 pages pour la communication à l’assemblée et au groupe de travail pour l’écriture du document final. C’était très intéressant. Dans notre groupe, à cause de la langue, il y avait peu de gens d’Amazonie, nous étions les trois évêques du Guyana, du Suriname et de la Guyane, avec trois Amérindiens. Mais nous avions huit cardinaux ! Deux Américains, deux Européens, un Indien, un Océanien et deux Africains ! En tout quatre africains dont trois sur le bassin du Congo. Tu verras que le compte-rendu rend bien cette diversité et les échanges !
 
5.     Nous avons donc reçu des messages forts sur l’importance de l’Eglise pour changer le cours des choses en Amazonie. On lui demande de dire haut et fort que les droits des peuples amazoniens doivent être respectés, que leur culture doit être protégée, que l’Evangile n’est en rien une négation de leurs valeurs ancestrales profondes. On lui demande une plus grande proximité dans les villages ; cela ne peut pas passer que par les prêtres, mais par des ministères laïcs reconnus. Je t’envoie le message qu’Aiku a lancé aujourd’hui dans la salle du synode. À une Eglise qui parfois se présente comme trop cléricale, il ne faut pas faire entrer plus de laïcs dans la cléricature, mais au contraire faire que les clercs marchent ensemble (c’est le sens du mot « synode ») avec les gens dans les villages.
 
6.     Le pape avait fortement souligné la violence subie en Amazonie, par les peuples et par la terre. Le Synode va être obligé d’envoyer un message fort sur la protection des personnes et de la terre. Cela va dans le sens de Laudato Si’. Il sera intéressant de voir comment les élus et les responsables industriels de Guyane vont regarder les choses.
 
7.     Il est clair également que la question d’ordonner des hommes mariés n’est pas prioritaire, sauf peut-être dans quelques diocèses où ne se trouvent que quelques prêtres. Pour le reste, ce qui domine le synode c’est l’énorme place des femmes et en particulier des religieuses. Elles sont nombreuses, données, fortes, remarquablement insérées dans les structures sociales des peuples de la forêt ; l’Eglise se doit de reconnaître le ministère formidable qu’elles exercent déjà, mais qui manque de reconnaissance. En réalité, derrière tout ceci, ce qui se profile c’est que l’Eglise doit se décléricaliser. Loin de vouloir « cléricaliser » les ministères déjà assurés par des laïcs, hommes et femmes, nous voulons décléricaliser les fonctions dans l’Eglise, au sens ou de clercs prennent le pouvoir et ne le partagent plus. Plus de synodalité, c’est-à-dire de « marche ensemble » dans une communion des divers talents, compétences et fonctions, où chacun se met au service des autres.
 
Voilà quelques réflexions qui nous donneront bien du travail dans les semaines et les mois qui viennent, pour une écologie intégrale !
 
De tout cœur et à très  bientôt
                                    AA Signature familière
† Emmanuel Lafont
                                                                                                                      Evêque de Cayenne